Vous venez d’annoncer votre retraite sportive. Une décision mûrement réfléchie à quelques mois des JO, je suppose ?
Effectivement cette annonce peut paraître précipitée quelques mois avant les Jeux Olympiques. Mais l’envie du « Clébar » (son surnom, NDLR) n’était plus assez forte pour prétendre à de grandes choses en course. Un sportif de haut niveau doit avoir cette rage de vaincre plus que tout pour “bouffer” ses adversaires. Je n’avais plus cette rage depuis quelques mois, et en course j’ai bien ressenti ce manque d’agressivité. J’ai pris le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre, grâce notamment à ma préparatrice mentale, Cécila Delage. Malheureusement, je n’avais plus l’envie nécessaire pour repartir sur une saison, et l’envie est indispensable.
Pourquoi arrêter justement à quelques mois de Tokyo ?
Avec mon expérience et mon recul, j’ai réalisé que si je continuais à tirer sur la corde physiquement et mentalement je risquais une blessure. Mon arrêt n’est pas lié aux Jeux Olympiques, je ne fais pas un “refus d’obstacle”, ça ne me ressemble pas. Effectivement j’avais une place à jouer dans le C2 Olympique. Mais je n’ai pas voulu me mentir, ni à mon futur équipier. Je ne pouvais pas prétendre à faire un C2 de niveau olympique, sans avoir la rage de vaincre dans le bateau. Un équipage est constitué de deux gars prêts à en découdre quoi qu’il arrive. Ce n’était plus mon cas. Le haut niveau c’est énormément de sacrifices dans la vie quotidienne et familiale. Si l’envie n’est plus là, ce poids est difficile à porter et on rentre dans une spirale négative.
Que retiendrez-vous de votre carrière ?
En premier lieu, la Marseillaise en – de 23 ans lors des championnats d’Europe sur 1000m. Ensuite l’extraordinaire bassin des Jeux Olympiques de Rio, en 2016, avec le Corcovado qui nous surplombait. Mais aussi tous les copains des différents coins de France que j’ai appris à connaître lors de ma carrière : les stages, les souffrances, les bonheurs partagés. La vie en somme.
Quels sont les titres ou les courses que vous garderez le plus en mémoire ?
Ma seconde place aux championnats du Monde senior en 2010 sur 200m et ma finale aux JO de RIO en 2016 restent les plus marquants. Mais plus que les titres ou les courses , je garde en mémoire l’engouement des proches et parfois même des inconnus, la flamme qui les a animés quand il m’ont supporté pendant les JO et la fierté dans leurs yeux qu’un petit gars de leur commune les représente sur des compétitions internationales. Ce bonheur partagé, c’était fantastique! Et les “Mercis de nous avoir fait vibrer” me vont droit au coeur.
Vous annoncez vous mettre à la disposition des plus jeunes. Sous quelle forme ?
Je vais passer le flambeau. Quinze ans de très haut niveau et vingt-trois ans de pratique du canoë ne doivent pas se perdre dans la nature. Dès que les mesures sanitaires seront plus clémentes, je vais apporter mon expérience bénévolement aux jeunes du club de l’ASL. Plus jeune, on m’a montré la voie. A moi de rendre la pareille.
Mon expérience malheureuse de blessures me permettra aussi de faire de la prévention chez les jeunes. Nous faisons un sport asymétrique et il est important de bien se connaître et de bien se placer pour éviter les blessures.
Comment allez-vous vivre désormais votre vie professionnelle ?
J’ai profité pendant dix ans d’un poste détaché à la Direction de la Communication du département du Pas-de-Calais avec 20% de mon temps au travail et 80% à l’entraînement. Ce travail m’a permis d’être serein au quotidien, pour m’entraîner d’abord, pour garder un contact avec le monde du travail, mais aussi pour avoir les moyens financiers de vivre. J’intègre désormais mon poste à plein temps, et je compte apporter ma vision de sportif de haut niveau au travail.
Des remerciements, des personnes à qui vous pensez au moment de raccrocher la pagaie ?
Mes parents d’abord pour m’avoir inculqué les bonnes valeurs de la vie et d’avoir fait les allers retours pour me conduire au club étant jeune. Ma femme, Natacha, pour m’avoir soutenu mentalement et supporté au quotidien, même quand j’ai vécu des blessures et que tout me paraissait difficile. La commune et mon club, l’ASL Grand Arras, cette école de la vie, cette seconde famille qui m’a permis de me forger un caractère et qui m’a emmené au plus haut niveau. Et dans ce club, Anthony Soyez, mon entraîneur, mais aussi Olivier Bayle, qui s’est toujours démené pour les sportifs de l’ASL. Le Département du Pas-de-Calais qui m’a permis d’avoir un avenir. Et enfin les membres de la Team Olympique et Paralympique du Pas-de-Calais, avec qui j’ai pu échanger, et la Team Tokyo Haut de France. Je leur souhaite tous mes vœux de réussite pour les années à venir.